Disparue le 7 décembre 2023 à l'âge de 99 ans, Vera Molnár (née en 1924 à Budapest et installée à Paris depuis 1947) était une pionnière de l'art numérique.
Élaborées autour de 1947 dans un état d’esprit constructiviste, ses oeuvres, en s’enrichissant de connaissances sur la psychologie de la forme et des lois de la vision, deviennent des questionnements plastiques de l’optique. Cybernéticienne puis informaticienne, Molnár met en place dans les années 1960 un mode de production qu’elle nomme « machine imaginaire » avant d’être la première artiste en France (1968) à produire des dessins numériques en utilisant un ordinateur relié à une table traçante. Jusqu’au mitan des années 90, elle se livre à une exploration systématique de familles formelles dont elle met en scène les mutations privilégiant le plus souvent la reprise et la sérialité. Jusqu’à aujourd’hui, l’artiste poursuit une production qui allie paradoxalement maîtrise et liberté, savoir-faire et quête de la surprise.
L’exposition commence avec les premiers dessins de Vera Molnár, Arbres et collines géométriques (1946), qui, avant même son installation à Paris en 1947, livrent une vision essentialisée de paysages familiers. Les années 1950 sont évoquées par des compositions qui inscrivent pleinement l’artiste dans le courant de l’abstraction géométrique de l’après-guerre (Cercles et demi-cercles, 1953, musée de Grenoble ; Quatre éléments distribués au hasard, 1959). Après avoir livré des peintures d’une grande radicalité (Icône, 1964 ; Neuf carrés rouges, 1966), Molnár débute ses séries de dessins algorithmiques qui, sous le titre À la recherche de Paul Klee, anticipent son usage de l’ordinateur.
Pour les années 1970, plusieurs séries de dessins réalisés cette fois sur table traçante manifestent son goût pour l’introduction d’un certain pourcentage de désordre au sein de compositions géométriques simples (Déambulation entre ordre et chaos, 1975 ; 160 carrés poussés à bout, 1976 ; Des lignes, pas des carrés, 1976 ; Molnaroglyphes, 1977-1978).
Les années 1980 se caractérisent notamment par l’apparition dans l’oeuvre de Vera Molnar de ses premiers polyptyques (Transformation, 1983), dont le Centre Pompidou conserve plusieurs exemples marquants (Identiques mais différents, 2010). Témoignage du long compagnonnage de Vera Molnár avec l’oeuvre d’Albrecht Dürer, Les Métamorphoses d’Albrecht (1994-2017) organise en quatre tableaux la transition progressive du monogramme de ce dernier vers le sien propre.
Dans l’exposition, non loin de son Carré dévoyé (1999, Rennes, musée des Beaux-Arts), les visiteurs peuvent aussi découvrir pour la première fois, Perspective d’un trait (2014-2019), sculpture inédite en acier inoxydable et aluminium anodisé dont la perception se transforme au gré des déplacements du regardeur.
L’oeuvre photographique de Vera Molnár est évoqué par plusieurs séries (Etudes sur sable, 2009 ; Ombres sur carrelage, 2012 ; Par temps couvert, 2012), tandis que les vingt-deux volumes de son « Journal intime » sont présentés dans leur intégralité. Ces simples cahiers d’écoliers, gonflés de schémas, de photographies et de documents divers collés au fil des pages, constituent des documents uniques sur le parcours de l’artiste et la genèse de nombre de ses oeuvres.
Enfin, plusieurs installations in situ (OTTWW, 1981-2010, d’après un poème de Shelley ; Trapèzes penchés à droite (180%), 2009), dont une toute récente (La Vie en M, 2023), créée par Vera Molnár spécialement pour l’occasion, manifestent sa volonté d’immerger le visiteur dans son univers.