Des enfants de Masare, Nairobi, racontent leur vie après les inondations d’El Niño. À travers des livres illustrés, zines et peintures, ils transforment leurs récits en art, brisant les stéréotypes et réinventant l’avenir. Une exposition mondiale pour amplifier leurs voix.
En 2024, les inondations déclenchées par le phénomène El Niño ont dévasté le Kenya. L’un des quartiers les plus vulnérables, le bidonville de Masare à Nairobi, a subi d’importants dégâts. Sur une bande de 30 mètres de chaque rive de la rivière Masare, tous les bâtiments ont été démolis, provoquant le déplacement de plus de 40 000 foyers. Au moins quatre écoles ont complètement disparu, tandis que d’autres ont été partiellement détruites ou démolies. Dans le contexte de la mondialisation et du changement climatique, les bidonvilles se situent non seulement dans des zones à haut risque de catastrophes naturelles, mais ils demeurent également marginalisés dans le discours global en raison du manque d’infrastructures et des inégalités en matière de ressources sociales. Cette inondation a encore accentué la vulnérabilité de la communauté de Masare, en particulier pour les enfants et les jeunes qui, en plus de devoir reconstruire leur vie et de faire face à l’interruption de leur éducation, voient leurs histoires réduites au silence, leur voix individuelle étant simplifiée ou occultée par le récit dominant.
L’exposition se concentrera sur la présentation des œuvres artistiques et des récits des enfants et des adolescents de la communauté de Masare, en mettant l’accent sur l’auto-expression, la vie sociale et les visions d’avenir à travers leur regard. Nous souhaitons explorer le rôle de l’art comme moyen de narration, en tant qu’outil puissant pour conférer aux individus et aux communautés le pouvoir d’agir. Cet espace vise à offrir aux groupes marginalisés la possibilité de raconter leurs histoires personnelles ou collectives et, ainsi, de développer un « discours de résistance » qui transcende les limites du récit dominant et leur permette d’exprimer leur force et leur influence (Polletta et al., 2011 ; Somers, 1994). Parallèlement, l’exposition regroupera une diversité d’œuvres de livres illustrés pour enfants en provenance de Chine, d’Espagne, du Danemark, etc., soulignant le concept de « polyvocalité » et créant un pont de dialogue entre différentes régions et cultures.
L’exposition s’appuie sur la sociologie narrative et la théorie de la polyvocalité, insistant sur la nécessité de construire une narration collective communautaire à partir de multiples perspectives (Clifford, 1986). Dans le cadre d’ateliers artistiques, chaque enfant est invité à raconter son histoire personnelle, transformant ainsi des expériences quotidiennes, souvent considérées comme ordinaires, en une expression artistique unique. Ces récits se matérialisent sous forme de livres illustrés, de zines narratifs ou encore d’« îles de sécurité », permettant aux enfants d’exprimer, avec leur voix propre, leurs visions de la communauté et de l’avenir. Chaque histoire individuelle porte une forte charge sociale et culturelle, et par la narration personnelle, il devient possible de réinterpréter et de reconstruire son vécu, opérant ainsi une « reconstruction symbolique » de l’avenir (Bourdieu, 1984). En impliquant les enfants de Masare dans la création artistique, nous leur offrons un espace d’auto-expression et instaurons un « dialogue narratif » dans l’espace public. Ce concept, inspiré de Bakhtin (1981), permet à chaque œuvre de se présenter non seulement comme une expression autonome, mais aussi de créer, lors de l’interprétation du public, des liens et des lectures multiples, brisant ainsi le discours univoque de la « victime » pour montrer comment les enfants des bidonvilles transforment leur récit en un « discours d’action » pour impulser un changement social.
Nous espérons que cette exposition saura briser les cadres narratifs figés, monolithiques et passivants assignés aux groupes marginalisés, en construisant un espace de dialogue interculturel et pluridimensionnel. Elle offrira aux enfants et aux adolescents de la communauté de Masare l’opportunité de rompre le silence par le biais de leurs œuvres artistiques, de reconquérir leur droit à l’expression et leur subjectivité, et ainsi de définir leur propre existence, leur culture et leurs visions d’avenir. L’objectif est de permettre à un public plus large de découvrir la richesse des récits et la réalité sociale des enfants issus de milieux vulnérables, favorisant ainsi une meilleure compréhension interculturelle et incitant à l’action.
30/05 21:00- 04/06 20:59